Quelques extraits de la partie technique

Le bateau canonnier fait partie d’un vaste ensemble d’embarcations ayant constitué la Flottille de Boulogne. Cette flottille comprenait, à l’époque qui nous occupe, près de 2000 navires de différents types, chaloupes canonnières (dites de 1ère espèce), bateaux canonniers (dits de 2ème espèce), péniches (dites de 3ème espèce) prames, bateaux écuries, caïques ainsi qu’une poussière de bateaux de tous ordres, généralement de pêche réquisitionnés pour l’occasion et transformés en transports de troupe. Ce bateau canonnier ayant été construit à plusieurs centaines d’exemplaires, nous ne nous attachons pas à décrire un navire particulier, mais plutôt l’aboutissement de diverses modifications.

- Analyse des documents disponibles -

Si l’ingénieur constructeur Groignard a conçu en son temps des chaloupes canonnières telles que celle représentée en 1765 par Ozanne dans son ouvrage “Marine militaire”, qui précise d’ailleurs que ces chaloupes sont destinées à la défense des côtes et ne peuvent envisager que de courtes traversées.

Les bâtiments de la flottille de Boulogne sont une extrapolation, en moins réussie, d’une idée suédoise de bateaux plats conçus en 1760 par l’ingénieur suédois Fredrik Henrik af Chapman (1721 – 1808) pour la flottille côtière de la Baltique destinée à la guerre contre la Russie. Les plans de ces bateaux de 60 et 64 pieds, la plupart du temps non pontés, de très faible tirant d’eau sont apportés par un obscur officier flamand ayant servi dans la marine suédoise à l’époque de la bataille de Svensksund.

Nous avons mentionné des plans référencés 2G2 294 et 2G2 297 concernant des bateaux d’époque 1795 et 1798. Le bateau de 1795 présente de curieuses différences avec les autres documents disponibles, la longueur annoncée n’étant que de 57 pieds entre perpendiculaires. Enfin, un 2G2 306, malheureusement non signé ni daté, montre une disposition des aménagements totalement différente avec notamment des soutes pour l’avant-train du canon de campagne et quatre cabanes pour les officiers.

Disponible à la bibliothèque de Boulogne sur Mer, sous référence 36184, un autre plan d’un bateau canonnier montrant lui aussi clairement de nombreux détails de construction et d’aménagements. Il est postérieur au camp de Boulogne mais la précision des détails le range au nombre des documents les plus fiables. Signalons également que le plan de pont de ce document est exactement similaire à celui du Génie Maritime.

Cette disposition confirme une note de Bonaparte datée du 9 Prairial An XI (29 Mai 1803) au Ministre de la Marine signalant dans son alinéa 3 que les bateaux canonniers doivent être construits sur le type hollandais. Nous opterons tout de même pour cette méthode hollandaise. D’abord parce que les formes du bateau s’y prêtent parfaitement et ensuite parce qu’il est logique de penser que les plans d’origine fournis par un marin flamand montrent probablement des allonges telles qu’elles sont construites dans son pays.

Devis complet du 56 pieds.

Il s’agit d’un devis en deux parties distinctes provenant du fond Morinaud. Le document est malheureusement incomplet, le jeu de plans accompagnant le devis, bien que mentionné dans l’inventaire, a disparu.

La première partie du devis est datée du 23 Frimaire, An III au Havre (13 Décembre 1794). Elle est complétée par un second devis, daté lui aussi du Havre le 25 Nivôse An VII (14 Janvier 1799) avec la remarque suivante “Instructions sur la distribution du pont des petites canonnières et autres objets qui n’ont pas été suffisamment développés dans le premier devis’’.

Nous reproduisons ici quelques pages du devis manuscrit de Forfait, destiné aux charpentiers et, pour plus de clarté à la lecture, en Annexe N° 1, la transcription de la totalité du document.

Pour terminer, nous avons eu la chance de pouvoir consulter aux archives de la ville de Nantes les quelques centaines de pages des archives du chantier des frères CRUCY de Nantes, d’abord fournisseurs de bois de construction pour la marine, puis chantier naval qui construisit nombre de bricks, goélettes, frégates, voire même quelques vaisseaux, ainsi qu’une bonne soixantaine des embarcations de la Flottille de Boulogne. Ces archives privées nous ont fourni de très précieux renseignements, soumissions, mémoires de travaux, factures, listes de fournitures, notes de sous-traitance et autres.

Enfin, pour terminer, le précieux inventaire du Commandant Demerliac, disponible aux éditions Ancre.

Armement

Signalons que si le Bateau canonnier “standard” arme 1 canon de 24 à l’avant, monté sur coulisses et un canon de campagne à l’arrière, d’autres porteront au lieu du Gribeauval de campagne, soit un canon de marine de 6 ou de 8, soit encore une caronade, ou un obusier.

Notons enfin un système assez particulier, sous référence BB4 193 aux archives de Vincennes . C’est un système de doubles coulisses en “V” permettant d’orienter la pièce selon un angle d’une vingtaine de degrés autour de l’axe du bateau.

En Janvier 1804, en visite à Boulogne, Bonaparte prend note du principal défaut des canons sur coulisses et ordonne de les remplacer par des canons du même calibre montés sur affûts marins. En date du 7 Janvier 1804, Decrès, ministre de la marine écrit à l’amiral Bruix :

Le Premier Consul m’a fait connaitre, Citoyen, que son intention était :

1- Que dans le plus court délai, chaque bâtiment canonnier eut une pièce de 4 ou de 8 en belle, ce dernier calibre de préférence.

2- Que tous les bâtiments canonniers, qui sont à rames, eussent une pièce de 24 en belle au lieu de l’avoir en coulisse.

3- Que les corvettes de pêche, outre la pièce de 24, portassent deux pièces de 4 ou de 8.

4- Qu'à bord de ceux de cette espèce de bâtiments qui n'auront pas eu leur artillerie installée, les canons fussent placés en belle, et que, si toutes les corvettes étaient prêtes, la coulisse d'une seule fût démolie pour être installée.

8- Enfin qu'une canonnière batave fût dirigée de Flessingue sur Boulogne pour y être armée de Français. Tout d’abord le travail considérable à effectuer pour faire disparaitre les coulisses. Cela suppose de démonter toute une partie du bordage du pont et de remplacer ceux des baux qui ont été entaillés pour recevoir les coulisses, puis de border à nouveau le pont.

 

Le poids considérable du canon de 24 placé sur l’avant accentue forcément le tangage, perturbant considérablement les qualités nautiques d’un bâtiment déjà peu marin. Or, les divers documents en annexe indiquent que pour améliorer la stabilité, le canon de 24 doit être descendu à fond de cale, manœuvre à peu près impossible avec des affûts à roues du fait des dangers d’une telle opération.

 

Voici Citoyen Conseiller, les dispositions que vient d’arrêter le Premier Consul et dont nous vous demandez...

Il sera construit 50 bateaux plats sur le modèle que nous avons sous les yeux à Dunkerque et qui est commandé par le Lieutenant Sornin...

L’intention du Premier consul est que ces bateaux portent une dérive de chaque bord. J’observerai à ce sujet qu’il serait important de profiter de votre présence ici pour faire l’essai de cette dérive sur la Foudroyante. Les marins français, peu habitués à l’usage de ce moyen, sauront bientôt en user. Mais comme il paraît qu’on n’avait pas songé à l’employer, lors de la première construction de ces bateaux, je pense qu’il faut aviser d’abord de son installation, afin de fixer l’opinion sur son utilité et de déterminer le mode de cette installation. La même réflexion sur le mode d’installation et l’essai de la dérive ne s’applique pas moins essentiellement aux chaloupes canonnières et aux bateaux canonniers, à tous chacun desquels le Premier Consul ordonne également qu’il soit donné des dérives. Vous concevez combien ces essais doivent fixer votre attention, et avec quelle satisfaction je vous vois chargé de l’examen et établissement de ces innovations sur lesquelles personne ne peut mieux que vous déterminer l’opinion du Gouvernement, car on ne peut se dissimuler que votre Arme d’une flottille est nouvelle pour la plupart des marins français. Ils auront, il est vrai, bientôt appris à s’en servir, mais il devient nécessaire de les diriger dans les moyens de la rendre commode dans ses aménagements, et maniable dans ses manœuvres.

J’ajouterai ici que pour atteindre ce but, l’espérance de tous les officiers du Génie maritime se repose essentiellement sur vous qui avez porté le plus de réflexions et avez acquis par vos méditations, le plus d’expérience sur cette sorte de bâtiments”.